30 septembre 2011Maison de la Recherche de Paris 3 (salle Claude Simon),
4 Rue des Irlandais, 75005 Paris, M° Luxembourg
Organisée par E. Adamou (Lacito), Yaron Matras (U. de Manchester) et C. Taine-Cheikh (Lacito)

 

L’expression de “union linguistique” proposée par Troubetzkoy (1928), très courante dans sa version allemande Sprachbund, a attiré l’attention sur le fait que des langues non apparentées pouvaient converger au niveau de leurs structures, suite à des situations de contact intense. Weinreich (1958) a proposé quant à lui l’expression de “aire de convergence”, qui comme celle de “aire linguistique”, met l’accent sur la dimension géographique du phénomène.

Cette journée d’études a comme objectif d’examiner des aires linguistiques plus ou moins établies en revenant sur les critères définitoires et leur utilité (nombre de langues, nombre et type de traits partagés) ainsi que les méthodes utilisées pour identifier les langues comme relevant du Sprachbund (cf. Thomason & Kaufman 1988, Thomason 2001, Matras 2009).

Il s’agira plus précisément de revenir sur les questions que posent les études bien développées de l’aire balkanique, et de celles plus récentes sur l’Asie du Sud-Est et d’Afrique. Il s’agira aussi d’explorer la pertinence et les conséquences de l’emploi de ce concept dans des aires moins connues, notamment l’aire d’Asie du sud-est, de mer Rouge, ainsi que l’aire saharienne.

Références
MATRAS Yaron, 2009, Language Contact, Cambridge, Cambridge University Press.
THOMASON Sarah & KAUFMAN Terrence, 1988, Language contact, creolization, and genetic linguistics, Berkeley, University of California Press.
THOMASON Sarah, 2001, Linguistic areas and language history, Haspelmath M., Koenig E., Oesterreicher W., Raible W. (eds.), Language typology and language universals, Sprachtypologie und sprachliche Universalien: An international handbook, Berlin & New York, Walter de Gruyter.
TROUBETZKOY Nicolay, 1928, Actes du 1er congrès international des linguistes, La Haye.
WEINREICH Uriel, 1968 (6th éd), Languages in Contact, The Hague, Mouton.

 

– Programme – mis à jour le 13 septembre 2011

9h30 Ouverture et café
10h00-10h45
  • Yaron Matras (Manchester University)
    Explaining convergence and the formation of linguistic areas
10h45-11h30
  • Annie Rialland (CNRS-Laboratoire de Phonétique et Phonologie)
    Aires phonologiques en Afrique
11h30-12h15
  • Alice Vittrant (Université d’Aix-Marseille & CNRS-Lacito)
    Aire linguistique Asie du Sud-est continentale : le birman en fait-il partie ?
Déjeuner
14h00-14h45
  • Evangelia Adamou (CNRS-Lacito) & Andrej Sobolev (Académie des sciences russe & Université de Saint-Pétersbourg)
    Balkan Sprachbund: Convergent and non-convergent features [Sprachbund balkanique : traits convergents et non-convergents]
14h45-16h00

Table-ronde : “L’aire sahélo-saharienne :
une zone de contacts et d’échanges linguistiques”

Modératrice : Catherine Taine-Cheikh (CNRS-Lacito)

  • Yves Gauthier (chercheur indépendant)
    Aires culturelles et linguistiques sahariennes : contributions de l’art rupestre, des monuments funéraires et des inscriptions libyco berbères
  • Robert Nicolaï (Université de Nice & Institut Universitaire de France)
    À propos de l’idée d’aire linguistique : faits empiriques et questions théoriques (le cas du songhay)
Pause-café
16h30-18h00
  • Regula Christiansen (docteure de l’Université de Leiden)
    À propos de la tadaksahak, langue classifiée ‘songhaï septentrional’ du Mali
  • Cécile Lux (docteure de l’Université Lyon2, laboratoire DDL)
    Relations linguistiques aréales et généalogiques : tetserret, tamacheq et zénaga, trois langues berbères
  • Lameen Souag (post-doctorant à SOAS)
    Du Sahel au Maghreb : essai d’une histoire linguistique du korandjé, langue songhay loin de son aire d’origine

 

Résumés

Evangelia Adamou (CNRS-Lacito) & Andrej Sobolev (Académie des sciences russe & Université de Saint-Pétersbourg) – Balkan Sprachbund: Convergent and non-convergent features
The Balkan Sprachbund is the best studied linguistic area, starting with 19th century studies by Kopitar (1829) and Miklosich (1861). After a short overview of terminology and definitions in the literature, we will focus on the Balkan area and the definitional issues that arise. We will then contrast Balkan convergent and non-convergent features in order to revise existing borrowability hierarchies (Matras 2007, 2009) as well as to suggest new implicational hierarchies for contact-induced transfer.
KOPITAR Jernej, 1829, Albanische, walachische und bulgarische Sprache, Jahrbücher der Literatur (Wien) 46, 59–106.
MIKLOSICH Franc, 1861, Die slavischen Elemente im Rumunischen. Denkschriften der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse 12, 1–70.
MATRAS Yaron, 2007, The borrowability of structural categories, in: Matras, Yaron & Sakel, Jeanette (eds.), Grammatical borrowing in cross-linguistic survey. Berlin, NY: Mouton de Gruyter, 31–73.
MATRAS Yaron, 2009, Language Contact, Cambridge, Cambridge University Press.

Yaron Matras (University of Manchester) – Explaining convergence and the formation of linguistic areas
The purpose of the paper is to offer a theoretical re-consideration of the concept of ‘linguistic areas’. I address the questions of what is a meaningful definition of linguistic areas and what constitutes the precise mechanism behind language convergence. I re-examine the role of grammaticalisation in the formation of convergent zones and ask whether some cross-linguistic isoglosses are more meaningful or diagnostic of areas than others. In the centre of the discussion is the question how structural features are allowed to jump the language boundary in the first place to form cross-language isoglosses which we perceive as ‘convergent zones’. On this issue I take a language-processing perspective, departing from the assumption that every change in language is ultimately a result of an innovation introduced by speakers into discourse in order to accomplish a communicative goal more effectively. This approach is anchored in an integrated theory of language contact, recently presented in Matras (2009), which views ‘contact’ as speakers’ creative negotiation of a complex repertoire of linguistic structures along with the pragmatic and sociolinguistic conventions that govern their distribution.

Robert Nicolaï (Université de Nice & Institut Universitaire de France) – À propos de l’idée d’aire linguistique : faits empiriques et questions théoriques (le cas du songhay)
L’idée d’aire linguistique est à la fois intéressante, faussement « explicative » et dangereusement limpide. C’est l’une de ces idées qui, tout en s’appuyant sur le constat de phénomènes empiriques qui leur donnent l’apparente clarté d’une « évidence », peuvent être trompeuses car la question qui se pose est de savoir si les faits construits à partir de ces phénomènes sont des faits premiers que nous aurions découverts et dont il faudrait identifier les propriétés spécifiques données comme indépendantes de notre projet descriptif, ou bien s’il s’agit de constructions que nous avons (plus ou moins stratégiquement) élaborées a posteriori. Les deux choses sont qualitativement différentes : dans un cas nous avons affaire à des phénomènes empiriques dont il importe de rendre compte ; dans l’autre cas nous avons affaire à des constructions que nous élaborons à partir de ces phénomènes, et dont il importe de ne pas les prendre pour ces phénomènes eux mêmes, sauf à risquer de scléroser la recherche empirique et de prendre une image de l’objet pour l’objet de l’image.
Je vais aborder cette question en partant de quelques isomorphismes structuraux entre songhay, mandé et langues chamito-sémitiques. Leur considération ouvrira sur les problèmes de leur interprétation et permettra de questionner aussi bien les construits que nous (les chercheurs) élaborons, que nos attitudes et comportements actifs en tant que descripteurs et fabricants de connaissances dans le domaine. En tout état de cause, il s’agit, à partir d’une étude de cas, de contribuer à la réflexion sur nos représentations et sur les modalités de notre construction des connaissances.
Références pour les données empiriques
Nicolaï R., 2006, Aux marges de l’espace chamito-sémitique : songhay et apparentements non-linéaires. In : Faits de langues “Les langues chamito-sémitiques (afro-asiatiques)” (A. Mettouchi & A. Lonnet eds), p. 245-277.
(ou bien)
Nicolaï R., 2006, Aires de convergence, mirages et perspectives : le cas de « l’aire songhay-mandé ». In : Caron & Zima (eds), Sprachbund in the West African Sahel, Louvain, Peeters, p. 37-56.
Référence pour la réflexion sur la construction des connaissances
Nicolaï R., 2007, La vision des faits : de l’a posteriori à l’a priori dans la saisie des langues, Paris, L’Harmattan, 158 p.

Annie Rialland (CNRS-LPP) – Aires phonologiques en Afrique
Nous appuyant sur une base, que nous avons constituée et qui à ce jour compte 117 langues, nous avons montré qu’il existait une grande variété de marqueurs prosodiques de question dans les langues africaines. Une partie d’entre eux impliquent une hauteur plus élevée (la suspension de downdrift, l’intonation montante, le relèvement du ou des derniers tons hauts, la suppression de l’abaissement final ou le contour montant descendant) mais nous avons également trouvé des intonations descendantes (ou des tons bas), des qualités de voix spécifiques (en particulier des « terminaisons relâchées » avec relâchement progressif des plis vocaux et souffle) ainsi que des allongements (Rialland 2008).
Des études phonétiques d’intonations impliquant des mélodies descendantes et des terminaisons relâchées seront d’abord présentées. Nos investigations ont surtout porté sur des langues voltaïques (moba, dagara, kabiye) et concernent tant l’aspect acoustique que physiologique (débit d’air, EGG pour les trois langues et videofibroscopie du larynx pour le kabiye seul).
Nous présenterons ensuite une étude de la distribution géographique des diverses variantes de ces intonations descendantes et relâchées, souvent associées à une ouverture vocalique. Notre base de données comporte actuellement 57 langues à « intonations descendantes et/ou relâchées ». Ces marques prosodiques se rencontrent de l’Ouest à l’Est de l’aire soudanique, depuis le Liberia jusqu’au Kenya, dans les trois phyla qui se rejoignent dans cette aire (niger-congo, nilo-saharien et afro-asiatique). Nous avons fait l’hypothèse que cette intonation « descendante/relâchée » est un trait caractérisant cette aire soudanique et qui vient s’ajouter à d’autres traits reconnus pour cette aire tels que les occlusives labio-vélaires, l’harmonie ATR ou les pronoms logophoriques (Rialland 2008, 2009). Comme les autres traits caractéristiques de l’aire soudanique, on ne la trouve pas dans les langues bantoues, excepté dans des langues de cette famille situées à la limite de l’aire soudanique.
Nous resituerons nos travaux sur les intonations de question par rapport aux travaux sur les zones phonologiques en Afrique que nous avons menés avec G.N. Clements (Clements & Rialland 2008).
Références :
Clements , George N. & Rialland Annie. 2008. Africa as a phonological area. In Bernd Heine & Nurse Derek, eds, A Linguistic Geography of Africa. Cambridge University Press. 36-95.
Rialland Annie. 2009 The African “lax”question prosody. Lingua 16. 928-949 – 2008. Question prosody : an African perspective, in Tones and Tunes: Studies in Word and Sentence Prosody, C. Gussenhoven and T. Riad (eds.), Mouton de Gruyter, Berlin, 2007, pp 35-62.

Alice Vittrant (Université d’Aix-Marseille & Lacito-CNRS) – Aire linguistique Asie du Sud-est continentale : le birman en fait-il partie ?
L’appartenance du birman à la famille des langues Tibéto-birmanes est un fait non discutable comme l’attestent de nombreux travaux en linguistique historique (Benedict 1942, Shafer 1955, Matisoff 1973). Cependant, cette langue possède de nombreuses caractéristiques phonologiques, morphosyntaxiques, pragmatiques ou lexicales, rares ou non attestées dans les autres langues de la famille. On peut donc s’interroger sur l’origine de ces innovations : hasard, universalité du langage ou contact de langues ? Or de récentes études (Matisoff 1991, Enfield, 2005) ont révélé l’existence d’une aire linguistique ou Sprachbund en Asie du Sud-est continentale, i.e. une zone géographique dans laquelle des langues de familles linguistiques diverses partagent des traits structurels, généralement acquis par contact.
Nous montrerons ainsi que, quoique rarement cité, le birman – langue tonale, à tendance isolante, à morphologie pauvre, sans flexion, faisant usage de classificateurs et très contextuelle – fait bien partie de cette aire linguistique.
Mots-clés
birman, langues d’Asie du sud-est, langues tibéto-birmanes, contact de langues, Sprachbund, aire linguistique

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