Chère Jacqueline,

Pourquoi un cédérom, en complément (et non pas en annexe) d’un livre d’hommages ? Et pourquoi ce cédérom avec des enregistrements et des transcriptions de récits dans une variété de langues ?
Parce qu’il donne un aperçu du monde couvert par le Lacito, ce laboratoire de Langues et Civilisations à Tradition Orale que vous avez créé avec André-Georges Haudricourt ; et parce qu’enregistrements sonores et transcriptions y sont enfin réunis.

Automne 1997 (nous nous connaissions déjà depuis dix-sept ans) : J’étais de permanence pour une petite semaine à une exposition organisée à La Villette. Cette manifestation, joliment baptisée “Science en Fête”, permettait à un public composite de découvrir les avancées de la recherche dans de multiples disciplines. Sur notre stand, deux écrans retenaient particulièrement l’attention. C’était pour moi l’occasion de découvrir de plus près, les mains sur le clavier, en la faisant découvrir aux visiteurs et en répondant aux questions, l’application préparée par Boyd Michailovsky et Michel Jacobson qui permet d’entendre une voix dans une langue et d’en suivre simultanément, à l’écran, la transcription phonétique, le découpage morphologique et la traduction.
Ma première réaction, en prenant conscience de la portée de cet outil, a été pour vous et pour les Contes ngbaka-ma’bo : “Ah, ça, c’est vraiment fait pour Jacqueline ! Elle ne peut qu’être ravie, comme moi, par cette technique qui permet enfin de restituer en même temps toute la richesse et la densité de l’analyse de la langue et toute la vérité de la voix, le timbre, le rythme, la respiration, l’âme du conteur….”

Cette réunion de la donnée brute, avec toute son émotion, et de son interprétation scientifique, avec sa rigueur, m’enthousiasmait par l’honnêteté fondamentale de ce procédé qui livre un travail d’analyse en s’offrant à toute contestation, à toute vérification. J’étais emballée par la facilité avec laquelle on pouvait avancer, revenir en arrière, relire et ré-écouter, avec une aisance que ma longue pratique du magnétophone à bande n’avait encore jamais rencontrée.

1976 : Je ne vous connaissais pas encore et Pierre Alexandre, mon professeur à l’Inalco, puis mon directeur de 3ème cycle, m’a tendu un jour l’imposant volume brun des Contes ngbaka-ma’bo en me disant : “C’est ce qui se fait de mieux”. Tant que je travaillerai dans une perspective d’ethnolinguistique, je pouvais le conserver et le pratiquer, selon ses termes, “comme livre de chevet”.

Je me rends compte, rétrospectivement, que les premiers contes que vous avez recueillis en 1956-57, ont été notés directement sur le papier à partir de la dictée de l’informateur. Ce n’est qu’après que vous avez eu recours au magnétophone qui permet de conserver et de réutiliser le récit brut du conteur quand on s’attelle, après la collecte des données, à la transcription, avec un informateur qui est obligatoirement un locuteur de la langue, mais pas nécessairement le conteur lui-même. Et quelle que soit la familiarité avec la langue, ou la virtuosité qu’on développe dans l’usage du magnétophone, cet outil demeure toujours, bien imparfait : on a le UHER sur la table et le cahier de notes à côté, mais on n’a qu’une main droite et qu’un seul regard ; les allers-retours incessants entre le son du récit et le texte qu’on en tire et qu’on découpe sont forcément laborieux. Et enregistrés ou non, vous avez toujours présenté vos textes avec un mot-sous-mot.

Cette application informatique répond, pour moi, entièrement, à l’exigence de base de votre enseignement : une collecte soignée, une transcription fine et fidèle, un découpage morphologique homogène. Comme vous le dites si bien, on recueille des matériaux et on les transcrit avec le souci qu’un autre chercheur puisse à son tour les exploiter.

Tout le respect que nous avons pour votre apport théorique à l’ethnolinguistique ne nous laisse pas oublier pour autant le temps et l’énergie que vous avez consacrés aux éditions de la SELAF, que vous avez créées afin de permettre la diffusion des travaux d’un maximum de chercheurs. Et vous vouliez, pour celles de ces publications comportant des textes, que ces derniers soient accompagnés d’un mot-sous-mot, d’un découpage morphologique et parfois même d’un disque. Dès les années soixante-dix en effet, en plus des deux disques de référence sur la phonétique, vous avez été éditeur d’ouvrages comportant, en complément du papier, des disques, des vinyles comme on dit désormais…. Ce cédérom et ce programme Archivage du Lacito s’inscrivent donc bien dans une ligne qui est la vôtre.

En travaillant à ce florilège de textes avec mes collègues, j’ai voulu, pour ma part, revenir à l’évocation des outils de notre artisanat et à ce moment d’enthousiasme : ” Ah, ça, c’est vraiment fait pour Jacqueline !”

Marie-Françoise ROMBI

 

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