Extrait d’un conte ouldémé
Conte de la tête ronde
Traduction, transcription : Véronique de Colombel
<> Introduction
Le conte choisi a été enregistré en langue ouldémé, sur le massif ouldémé, dans le village de Dibon, le 10 mai 1976, un soir de saison sèche, dans le cadre traditionnel.
À la naissance d’un enfant qui arrive au monde avec une grosse tête ronde, un seul bras et une seule jambe, les parents décident de quitter pour toujours leur maison en y abandonnant l’enfant monstrueux. Mais la sœur aînée, qui n’est encore qu’une fillette, tient à l’emmener. Voyant cela, les parents abandonnent les deux enfants en chemin. Plus tard, après avoir demandé à sa sœur de le cogner contre un tamarinier, puis contre un arbre à grêlons, le garçon retrouve ses membres, puis un corps complet de jeune homme. Ensuite, il construit une maison tôlée et prend huit épouses. Pendant ce temps, sans enfant pour les aider, les vieux parents errent en brousse où ils tentent de survivre en se nourrissant de souchets sauvages. C’est alors que le garçon leur fait parvenir de la nourriture par magie. Il va ensuite à cheval à leur rencontre. Les parents, qui le prennent pour un Mandara, ont tout d’abord peur de lui. Puis ils finissent par reconnaître leur enfant et celui-ci leur offre alors le gîte et le couvert.
<> Lecture │Écoute
Listes des abréviations :
Extrait conte (© Véronique de Colombel)
wāl ā–jāb–āy mə̄rēz ā–bə́s āvə̀h gwə̄bār gāta
femme il+mod.-accoucher-distr. gens il+mod.-cultiver champs homme leur
ā–gé–r–ēgè mə̄tə̄lə́k ā–s–érgè ā–gā–r–áy ā–s–érgè
il+mod.-faire-lui-achèv. bouillie il+mod.-boire-achèv. il+mod.-faire-lui-dir. il+mod.-boire-achèv.
Il y avait une femme qui avait accouché pendant la période des travaux des champs. Son mari préparait la bouillie et elle la buvait.
<> Notes
Parmi les populations montagnardes, toutes de langue tchadique, comprenant entre 2 000 et 15 000 habitants et occupant la bordure orientale des monts du Mandara (Nord-Cameroun), celle des Ouldémés est de taille moyenne. On compte parmi les populations voisines les Podokos, les Mouktélés, les Moras-massif, les Vamé-brémés, les Madas, les Ourzos et les Mouyangs.
Le territoire ouldémé est un petit “massif presqu’île” de trois kilomètres sur six, adossé au plateau central des monts du Mandara et bien individualisé à cause des larges vallées des mayo Plata et Ouldémé qui l’encerclent. Quand on en fait le tour, les habitations sont invisibles et le massif offre l’aspect d’une forteresse. Les habitants se regroupent sur le sommet et le haut des pentes entre 650 et 900 mètres. De nos jours, certains villages ont amorcé une descente et se regroupent en piémont.
Cette montagne est située dans une région de savane arbustive, au climat sec et à la végétation pauvre pendant la plus grande partie de l’année. Les pluies tombent de juin à août. Le paysage n’est vert que pendant cette période. C’est à cette saison que ses habitants, agriculteurs de longue date, procèdent à leurs cultures dont le produit de base est le mil.
Les modes de vie de ces populations, de tradition animiste, contrastent avec ceux des musulmans des villes, Foulbés et Mandaras, souvent commerçants (notre conte y fait allusion). Comme dans l’ensemble des monts du Mandara, l’économie ouldémé est une économie de subsistance dans un milieu contraignant, ayant maintenu son équilibre dans l’autarcie. Cet équilibre devient précaire s’il s’agit d’entrer dans l’économie monétaire. Les exploitations agricoles traditionnelles, viables en autarcie, ont utilisé au maximum les conditions naturelles. Or, les possibilités d’amélioration du niveau de vie sont relativement limitées. Les cultures se font à la houe. Dans ces conditions, élever un enfant infirme est une lourde charge, ce que suggère le conte. Ce récit, toujours d’actualité, fait partie de l’ensemble le plus apprécié de nos jours par les jeunes Ouldémés. C’est cette réalité qui a guidé notre choix.
La langue ouldémé, comme les autres langues tchadiques, peut, par ses racines et certains traits grammaticaux, être rapprochée de l’ensemble chamito-sémitique. Pour plus de précisions sur les affixes verbaux et les phonèmes originaux, tels que les consonnes latérales-fricatives, on peut se reporter aux ouvrages suivants :
Références
COLOMBEL, Véronique de, 1986, Phonologie quantitative et synthématique, avec application à l’ouldémé, langue tchadique du Nord-Cameroun, Paris, SELAF (LCA 7), 375 p.
—, 1987, Les Ouldémés. Introduction géographique et ethnologique à l’étude d’une société animiste de cultivateurs de mil dans les Monts Mandara, Paris, SELAF (LCA 8), 100p.
—, 1996, La langue ouldémé, Nord-Cameroun, précis de grammaire, texte, lexique. Les Documents de Linguistique africaine 4, Paris, 340 p.