Phonologie quantitative et synthématique,
avec application à l’ouldémé, langue tchadique du Nord-Cameroun

La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une controverse que ne cessent d’alimenter les travaux de nombreux spécialistes : faut-il rattacher le groupe tchadique à la famille chamito-sémitique ou afro-asiatique (qui englobe l’égyptien, les langues sémitiques, les langues berbères et les langues couchitiques) ? Le groupe tchadique, outre le hausa parlé par plusieurs dizaines de millions de locuteurs, comprend un essaim de petites langues disséminées essentiellement au Nord-Cameroun, dans le sud du Tchad et au Nigeria.
Dans une très dense introduction anthropologique fondée sur une documentation de première main largement inédite, l’auteur s’attache à montrer qu’une telle recherche de parenté doit s’insérer dans une démarche inter-disciplinaire qui, sans récuser les schémas arborescents classiques de la grammaire comparée, privilégie un modèle « osmotique » des relations interethniques.
L’analyse linguistique de l’ouldémé, qui constitue le corps de l’ouvrage, montre, par le biais d’une étude quantitative de la phonologie, qu’on peut dégager une combinatoire chiffrée des phonèmes aboutissant à des propositions méthodologiques et théoriques : celles-ci, appliquées à d’autres langues apparentées, permettraient de développer la comparaison sur des bases plus fermes et, sur un plan plus général, de jeter un éclairage neuf sur les études diachroniques.

Illustration de la couverture : Sama, village du maître de la pluie.

COLOMBEL Véronique (de), 1986, Phonologie quantitative et synthématique, avec application à l’ouldémé, langue tchadique du Nord-Cameroun, Paris, Selaf (LCA 7), 375 p.

Publié en 1986

 

Un article de Luc Bouquiaux se référant à l’ouvrage ;

BOUQUIAUX Luc, 2005, À propos de la traduction d’originaux anglais, La Linguistique, 2005, 41/2 : 137-145. (https://doi.org/10.3917/ling.412.0137)

[Extraits] « Elle [V. de Colombel] y donne des arguments particulièrement convaincants pour le rattachement du tchadique à l’afroasiatique, éclaire de façon nouvelle l’utilisation des consonnes et des voyelles dans cette famille, emploie judicieusement l’ethnobotanique pour préciser les liens de parenté entre langues. Elle privilégie d’autre part un modèle osmotique (elle est créatrice du terme et de la technique) pour l’analyse des relations interethniques, mais surtout elle prouve par une étude quantitative de la phonologie qu’on peut dégager une combinatoire chiffrée des phonèmes aboutissant à des propositions méthodologiques et théoriques.
[…] les développements de la phonologie quantitative remettent en cause un des fondements de la phonologie générative. Pour Chomsky, une description phonologique quantitative n’est qu’une analyse de structures de surface dont on ne peut tirer que des tendances statistiques, et une analyse distributionnelle est inapte à mettre en évidence les relations entre niveaux différents. Il s’avère à présent qu’une combinatoire chiffrée, faite dans une très rigoureuse synchronie témoignant de l’équilibre du système, se montre apte à prévoir des mutations phonologiques – déphonologisation, rephonologisation – ainsi que des faisceaux de mutations. Elle rend ainsi possibles des reconstructions de phonèmes sur des bases fondées. La quantification offre aussi la possibilité de différencier avec netteté tendance et règles, la règle n’étant que le figement d’une tendance après saturation. L’analyse distributionnelle d’une structure de surface mène non seulement à des ” tendances statistiques “, mais peut également permettre de trouver des modèles mécaniques, à condition de savoir ” concevoir ” et distinguer les règles des tendances. Là encore, il est très clair que c’est le progrès de la méthodologie qui commande celui de la théorie et non l’inverse comme le prétendent les générativistes. Pour une illustration de cela, on se reportera une nouvelle fois à V. de Colombel,Phonologie quantitative…, qui est un des travaux les mieux documentés et les plus convaincants sur le sujet. »

Deux articles de V. de Colombel en relation avec cette publication :

COLOMBEL Véronique (de), 1986, Structure et quantification. Propositions méthodologiques en phonologie. Usage de la quantification, Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 81-1, p. 53-69.

La quantification, dont on s’est longtemps méfié en sciences humaines, permet d’élaborer des modèles à un degré plus fin d’analyse. En effet, en phonologie, à partir d’une analyse distributionnelle maîtrisée, il est possible de tirer autre chose que des tendances statistiques, contrairement à ce que pensait Noam Chomsky. À titre d’exemple, citons les hypothèses suivantes : pour chaque système, en une position donnée, une opposition binaire de traits dits fondamentaux s’équilibre au voisinage de 50 % ; en certains systèmes, le degré de complémentarité combinatoire d’un phonème et celui de phonologisation de ce phonème sont inversement proportionnels. Ces hypothèses ont une incidence sur l’analyse de l’équilibre général d’un système, la diachronie et la comparaison.
Although quantified data have long been viewed with suspicion in the humanities, they permit the elaboration of more precise models. In phonology, for example, it is possible to derive more than statistical tendencies from a controlled distributional analysis, Noam Chomsky’s objections notwithstanding. As an example, we propose the following hypotheses: for each system, in a given position, a binary system of basic features reaches equilibrium at about 50 per cent; in some systems, the degree of combinatory complementarity of a phoneme and its degree of phonologisation are in inverse proportion. These hypotheses bear on the synchronic analysis of the general equilibrium of a given linguistic system, morphology and syntax included, as well as on its diachronic and comparative study.

COLOMBEL Véronique de, 1987, Combinatoire de phonèmes et diachronie, La Linguistique 23-1, p. 63-84.

La combinatoire des phonèmes propose une trame analytique très complète sur les combinaisons des unités phonologiques, en mettant en rapport les différents facteurs qui les déterminent. Elle nous a ainsi permis de faire des propositions sur la manière exacte d’évaluer l’équilibre d’un système, de mesurer le degré d’intégration d’un phonème, de préciser certains mécanismes de phonologisation, et de reconstruire des phonèmes de l’intérieur du système. Tous ces points, acquis, peuvent rendre précise la comparaison et aider à franchir une étape dans les études diachroniques de parenté.
The theory about the combination of phonemes proposes a full analytic explanation of the combinations of phonological units by relating the various factors that determine them. It thus enables us to formulate precise statements about how to evaluate the equilibrium of a system, how to measure a phoneme’s degree of integration, how to describe certain mechanisms of phonologisation, and how to reconstruct phonemes from within the System. Thanks to all these new elements, precise comparisons can be made, and a decisive advance has taken place in diachronic studies of kinship.

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