Journal de la Société des Océanistes 117, “Nouvelle-Calédonie, 150 ans après la prise de possession”

Sommaire

  • Isabelle Leblic : Présentation
  • Christophe Sand, Jacques Bole et André Ouetcho :
    Construction identitaire multiethnique en Nouvelle-Calédonie
  • Sarah Mohamed-Gaillard : 150 ans de liens institutionnels et
    politiques entre la France et la Nouvelle-Calédonie
  • David A. Chappell : The Kanak Awakening of 1969-1976
  • Jean Pipite : Droit d’accueil et droit de l’endroit en pays kanak
  • Denis Monnerie : Résistance au colonialisme à Arama et
    dans la région Hoot ma Whaap
  • Anna Paini : Rhabiller les symboles : les femmes kanak et la
    robe mission à Lifou
  • Leah S. Horowitz : Micropolitique de la mine en Nouvelle-
    Calédonie
  • Umberto Cugola : Perspectives de décolonisation en
    Nouvelle-Calédonie
  • Nathalie Mrgudovic : Nouvelle-Calédonie ou Kanaky. Perceptions régionales du “Caillou”
  • Isabelle Leblic : Chronologie de la Nouvelle-Calédonie (1853-2003)

Miscellanées

  • Naissance de l’Union calédonienne
  • Alain Saussol et Claude Cornet : Mouéara, la “forteresse” oubliée
  • Frédéric Angleviel : La Nouvelle-Calédonie à travers le regard de deux chercheurs engagés

Actualités

  • Actes de la Société
  • VIe Conférence ESFO à Marseille en 2005

Publié en 2003

Résumé d’articles

Christophe Sand, Jacques Bole et André Ouetcho : Construction identitaire multiethnique en Nouvelle-Calédonie

Cet article présente, dans ses grandes lignes, comment chaque communauté culturelle de Nouvelle-Calédonie perçoit de façon particulière les principales périodes de l’histoire humaine de l’archipel. Le constat de divergences de fond et de forme sur le sens de l’histoire suivant l’origine laisse néanmoins apparaître le côtés de plus en plus multiple et mouvant des perceptions historiques dans chaque communauté. L’évolution contemporaine, accompagnant le processus politique de création d’une citoyenneté et d’édification d’un avenir en commun, pose les limites de comportements culturels décrits comme immuables pour chaque communauté. Elle ouvre
des espoirs de rapprochements futurs sur un certain nombre de valeurs et de traits culturels partagés. La définition de nouveaux
« mythes d’origine » rassembleurs devra passer par une redéfinition de symboles, dans le cadre de ce que les historiens ont défini comme un processus « d’invention de la tradition », caractéristique de l’édification des États-nations.This paper assesses the way each cultural group of New Caledonia perceives the major periods of the archipelago’s human history. The identification of strong divergences around the meaning of history depends on origins, nevertheless it shows the progressive diversification of these perceptions in each community. The contemporary development, in relation to the creation of a political process of local citizenship and the building of a shared future, shows how variable cultural behaviour can be, in particular that which is supposed to be immuable. This gives hope for future agreements over a series of shared values and cultural features. The definition of new unifying “origin myths” will have to be constructed through a new definition of symbols, in what historians call a process of “invention of tradition” that characterizes the building of modern States.

Sarah Mohamed-Gaillard : 150 ans de liens institutionnels et politiques entre la France et la Nouvelle-Calédonie 

Après l’immobilisme institutionnel de la période coloniale, la Nouvelle-Calédonie a expérimenté depuis 1946 une dizaine de statuts et semble avoir retrouvé depuis les accords de Matignon une certaine stabilité statutaire. Au-delà de ces évolutions, nous pouvons relever certaines permanences des relations institutionnelles et politiques entre l’État français et la Nouvelle-Calédonie.

After the institutional immobilism of the colonial period, New Caledonia has tested about ten statutes since 1946 and seems to have found a certain statutory stability since the Matignon Accord. Beyond these evolutions, there is a certain stability in the institutional relations and policy between the French State and New Caledonia.

David A. Chappell : The Kanak Awakening of 1969-1976 

Cet article examine les racines des “événements” tragiques des années 1980 en Nouvelle-Calédonie, en argumentant que le réveil kanak de 1969 résultait d’une convergence de forces structurelles puissantes, telles que la recolonisation du territoire par la France dans les années 1960, accompagnée d’une immigration massive pendant le boom du nickel, ainsi que le retour chez eux des étudiants kanak et calédoniens qui avaient été radicalisés en France, où ils avaient vécu la révolte des étudiants et ouvriers en mai 1968. La tendance graduelle vers l’autonomie de l’Union calédonienne a été interrompue, mais la défense de l’indépendance kanak révolutionnaire polarise la population par des clivages ethniques et politiques. Aujourd’hui, alors que la France est en train de redonner plus d’autonomie à la Nouvelle-Calédonie, deux visions de la nationalité sont en concurrence : rester loyal à la France ou bien devenir un état souverain.

This article examines the roots of the tragic “events” of the 1980s in New Caledonia, arguing that the Kanak Awakening of 1969 resulted from a convergence of powerful structural forces, such as the recolonization of the territory by France in the 1960s, accompanied by massive immigration during a nickel mining boom, and the return home of radicalized Kanak and Caledonian students from France, where they had experienced the May 1968 student-worker uprising. The gradual, multi-ethnic trend toward autonomy by the Union calédonienne had been interrupted, but the advocacy of revolutionary Kanak Independence polarized the population along ethnic and political lines. Today, France is again granting autonomy to New Caledonia, but two visions of nationhood are in competition: remaining loyal to France or becoming a sovereign state.

Jean Pipite : Droit d’accueil et droit de l’endroit en pays kanak 

La pratique de l’accueil en Nouvelle-Calédonie est fréquemment ramenée à la seule dimension d’une cérémonie coutumière, consistant à remettre à ceux qui vous accueillent un tissu et un morceau de tabac. Cet usage est toutefois bien plus complexe. L’objectif de cet article est de montrer que l’on ne peut saisir toutes les dimensions de cette pratique qu’en le considérant à la manière d’un droit coutumier, dont les enjeux étaient bien différents de ceux que lui ont fait épouser les autorités coloniales ou de ceux de politiciens qui travaillent avant tout pour leur propre profit. Nous évoquerons également les tentatives récentes de reformuler l’ensemble des règles et des usages qu’englobe la pratique de l’accueil, dans ce que certains coutumiers revendiquent aujourd’hui comme le « droit de l’endroit ». La force de loi que les Kanaks attribuent à la notion d’accueil, la sécurité et les prérogatives qu’il offre, risqueraient de s’amenuiser si n’étaient pas respectés, en contrepartie, les devoirs et le respect envers les accueillants et envers les règles locales. Le « droit de l’endroit » se veut un rappel de ces principes fondamentaux.

The practice of welcoming in New Caledonia is often reduced to the sole dimension of customary ceremony, consisting in giving a piece of cloth and some tobacco to those who welcome you. This practice is, however, much more complex. This article’s objective is to show that the only way to grasp all the dimensions of these practices is by considering them as a customary right, where the stakes are much different from those imposed by colonial authorities or politicians working above all for their own benefit. We will also evoke the recent attempts at reformulating the set of rules and customs encompassed by the welcoming practices, in what some traditionalists claim is the “law of the land”. The force of law that the Kanaks attribute to the notion of welcoming, the security and the prerogatives it offers, might be reduced if the duties and respect towards those who welcome and the local rules are not observed. The “law of the land” is a reminder of these fundamental principles.

Denis Monnerie : Résistance au colonialisme à Arama et dans la région Hoot ma Whaap 

En 1988, les accords de Matignon ont décidé la mise en place de conseils coutumiers. Dans la région Hoot ma Whaap, le conseil coutumier a organisé à partir de 1992 de grandes rencontres régionales dont les cérémonies d’arrivée et d’accueil sont un des points forts. Elles affichent toutes des prises de position vis-à-vis du colonialisme. Par ces rencontres et ces cérémonies comme dans l’activité du conseil s’exprime un aspect du mouvement kanak resté souvent inaperçu des observateurs, que les Kanaks nomment « culturel » ou « coutumier » et qu’ils distinguent de son aspect « politique ». Cet article se fonde sur l’ethnographie recueillie au cours des réunions du conseil et de ces rencontres et sur l’analyse des grandes cérémonies d’accueil et de leurs transformations contextuelles. J’examine d’abord certaines modalités d’expression des prises de position kanak face au colonialisme. Puis je mets en avant les spécificités des rapports entre les aspects « politiques » et « culturels » ou « coutumiers » du mouvement anti-colonial, en particulier à travers des pratiques et représentations kanak, historiques et contemporaines, de résistance au colonialisme français.

In 1988 the Matignon agreement put an end to several years of violent struggle between Kanak independentists, loyalist forces and the French colonial state. Part of the settlement was the creation of Kanak customary councils. From 1992 onward, in the region called Hoot ma Whaap, the customary council organised several large regional encounters. All these encounters expressed Kanak positions towards colonialism. In these encounters, ceremonies and council activities we witness an aspect of the Kanak independence movement which has been largely unobserved. The Kanak people call this the “cultural” or “customary” aspect of their movement and contrast it with the “political” aspect. This article analyses the ethnography of the council’s meetings, of these encounters and of the reception ceremonies with their contextual transformations. I study some of the ways Kanak positions towards colonialism are expressed. I then stress the specificities of the relations between the “political” and “cultural, customary” aspects of the anti-colonial movement, especially through practices and representations—both historical and contemporary—of resistance to French colonialism.

Anna Paini : Rhabiller les symboles : les femmes kanak et la robe mission à Lifou 

J’examine ici, à partir d’entretiens ethnographiques et de documents d’archives, la robe mission, vêtement porté par les femmes kanak à Lifou et, plus généralement, dans toute la Nouvelle-Calédonie, à la lumière du débat contemporain sur les sentiments identitaires qui participent d’un processus historique et qui opposent les notions d’appartenance et de différence. La robe mission, importée d’Occident, relève d’une stratégie qui voulait imposer aux femmes kanak un style occidental de pudeur et de modestie. Mais les femmes de Lifou ont su l’adapter, la transformer, la recontextualiser et l’intégrer aux savoirs et pratiques locaux. Leur regard, qui m’intéresse ici tout particulièrement, a fait intégrer ce vêtement à part entière dans « la coutume ». La signification de la robe mission s’est donc transformée : auparavant symbole de la dévalorisation occidentale de la femme kanak et du regard réducteur occidental face aux autres, elle est devenue progressivement un signe identitaire de créativité culturelle revendiqué avec fierté par la majorité de mes interlocutrices de Lifou.

Considering that the sense of belonging and identity are part of historical processes and that claiming an identity creates a tension between the sense of belonging and of difference, I examine here the “mission dress”, a garment worn by Kanak women in Lifou and more generally in New Caledonia. The analysis, based on ethnographic interviews and archives, suggests that imported clothes, which are clearly part of a strategy to impose a Western-style sense of modesty, were adapted to local uses by Kanak women, and their meaning was adapted. My interest lies especially in how the women perceived the introduction of new clothing. Nowadays the “mission dress”, in its new designs, is considered part of “la coutume”. The dress, a sign which once allowed Westerners to view Kanak women as inferior beings, has gradually become a symbol of identity, which many of my female interlocutors claim with pride.

Leah S. Horowitz : Micropolitique de la mine en Nouvelle-Calédonie 

Cet article examine la micropolitique, au sein d’une communauté kanak, relative à un projet minier. Vu son importance politique et économique, les résidants locaux ont approuvé le projet dans l’ensemble. Des disputes ont cependant éclaté au sein des villages autour du massif. Dans le monde kanak, le prestige est acquis par la capacité de se dire membre d’un clan parmi les premiers arrivés dans un lieu, et donc en mesure de prendre toute décision liée à l’utilisation de la terre. Les gens ont vu dans la reconnaissance de ces droits par la compagnie minière, un moyen pour appuyer ou déstabiliser les positions sociales. Leurs attentes dans ce sens ont également influencé leurs discours sur les conséquences écologiques du projet ainsi que sur les risques de provoquer la colère des esprits ancestraux.

This article examines the intracommunity politics within a Kanak community in New Caledonia, concerning a mining project. Because of its political and economic importance, local residents supported the project on the whole. However, disputes arose within the communities. In Kanak societies, prestige is acquired through the ability to claim membership of a clan that is among the first to arrive in a place, and thus has the right to make all decisions relating to land use. People viewed the recognition of these rights by the mining company as having the potential to either support or destabilise their social positions. People’s expectations in this regard also influenced their statements about the ecological consequences of the project as well as the risks of provoking the ancestors’anger.

Umberto Cugola : Perspectives de décolonisation en Nouvelle-Calédonie 

La paix civile que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis une quinzaine d’années peut être appréhendée, de manière lâche, comme la plus large avancée réalisée sur ce territoire. Nonobstant ce premier constat encourageant, il n’est pas du tout évident que les évolutions futures du territoire se déroulent sous les meilleurs auspices en terme de décolonisation. Pourtant, confortée par le droit international, la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie semble parsemée d’obstacles que nous nous proposons de mettre en mots en posant, dans un premier temps, une analyse sur l’éclatement du flnks. Puis, nous chercherons à estimer la portée de la dynamique suggérée par le processus de développement économique amorcé en 1988. Nous nous demanderons en quoi l’idéologie développementiste peut représenter une nouvelle forme de colonialisme, et si cette idéologie fièrement portée par les accords de Matignon et de Nouméa (1988-1998) contribue réellement au rattrapage des inégalités et au rééquilibrage.

The peace that New Caledonia has experienced for about fifteen years can be apprehended, as greatest progress on this territory. Notwithstanding this first encouraging report, it is not at all obvious that the future evolutions of the territory will proceed under the best auspices in terms of decolonization. However, consolidated by international law, the decolonization of New Caledonia seems strewn with obstacles that we propose to analyse by first assessing the scission of the flnks. We will then estimate the range of dynamics suggested by the process of economic development which brought in a new era in 1988. We shall question the way the developmentist ideology may represent a new form of colonialism, and if this ideology proudly defended by the Accords (1988-1998) really contributes to the correction of the inequalities and the rebalancing.

Nathalie Mrgudovic : Nouvelle-Calédonie ou Kanaky. Perceptions régionales du “Caillou” 

Le « Caillou », à partir des années 1980, a été différemment perçu par ses voisins : pour les uns Nouvelle-Calédonie, territoire français du Pacifique Sud, pour les autres, Kanaky, cherchant à obtenir son indépendance ! Entre approches critiques et attitudes de soutien, les différents points de vue ont mis en avant sur les scènes régionale et internationale certains aspects de la situation interne de l’archipel. Notre analyse montrera, d’une part, l’émergence d’une identité régionale politique à travers le Forum du Pacifique Sud (fps, aujourd’hui Forum des îles du Pacifique, fip) et, d’autre part, comment du Groupe mélanésien du Fer de Lance est née l’affirmation d’une solidarité mélanésienne. Ingérence ou solidarité océanienne, ces réactions régionales ont-elles influencé ou affecté les relations des indépendantistes kanak avec les loyalistes calédoniens et avec l’État ? Enfin, il nous faudra esquisser le bilan de cette perception régionale : a-t-elle permis de faire évoluer la situation sur le Caillou ? A-t-elle même seulement évolué ?

Since the 1980s, the “Rock” has been perceived differently by its neighbors: for some, as New Caledonia, French territory in the South Pacific; for others, as Kanaky, struggling to obtain its independence! From critical approaches to supportive attitudes, the different view points have highlighted certain aspects of the archipelago’s internal situation, on national and international levels. Our analysis will show on the one hand the emergence of a political regional identity through the South Pacific Forum (fps, now Forum of Pacific Islands, fip) and, on the other hand, how the Melanesian Group “Spear Metal” gave rise to the affirmation of solidarity among Melanesians. Have the regional reactions of Interference or Oceanic solidarity influenced or affected the relations between the Kanak separatists, the Caledonian loyalists and the French state? In conclusion, one must take stock of this regional perception: has it helped the situation on the Rock evolve? Has it indeed evolved?

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